Malgré les bombardements intenses, les morts, juste à côté de Kharkiv, à Korotych, une demi-douzaine d’enfants d’un centre social répète une pièce de théâtre depuis décembre. Fin mai 2024, alors que la ville a connu les pires attaques de ces derniers mois, notre équipe a suivi leurs dernières répétitions et leur spectacle de fin d’année. Un défi en pleine guerre.
Retour en arrière : pendant des semaines, les acteurs en herbe sont contraints de répéter dans une salle transformée en abri en raison d’une guerre qui s’éternise. Aux fenêtres, des sacs de sable afin d’éviter d’être blessés par des éclats de verres. Dehors, les alertes sont quasi-ininterrompues et les détonations, au loin, innombrables.
Ce qu’accomplit cette dizaine de comédiens en herbe est d’autant plus remarquable qu’ils ont été privés, à leur naissance, de la douceur d’une vie familiale. Les pères, quand ils ne sont pas absents depuis toujours, sont sur le front. Les mères, qui ont sombré dans les accoutumances, la dépression et parfois même la violence, les ont délaissés.
Une femme se bat quotidiennement pour ces gamins et les fait répéter plusieurs fois par semaine. Lila Bukhalova, 36 ans, elle-même originaire de Kharkiv, est issue d’une famille qui, à la maison, parle d’abord russe. Mais cette jeune femme énergique apporte aussi aux petits un soutien scolaire. Car les écoles environnantes ont été fermées par mesure de sécurité. Les enfants ont été déplacés.
Lila l’a été, elle aussi, dès les premiers mois de la guerre. D’abord à Lviv, durant trois semaines. Puis elle a trouvé un refuge temporaire à Strasbourg où elle est parvenue, grâce à une filière, à faire hospitaliser sa mère suspectée d’avoir un cancer… tout en consolidant son excellente connaissance du français.
Dans le centre de Korotych, qui n’est pas à l’abri d’une attaque venue des airs, on se bat pour faire triompher la vie. Pour cela, les enseignants doivent laisser à la porte d’entrée les traumatismes de l’horreur présente et passée. Quant aux enfants, ils doivent pouvoir surmonter leurs propres douleurs. Grâce au théâtre, chacun apprend progressivement à faire corps avec les autres, à canaliser sa colère et ses peurs.
2024 © William IRIGOYEN | ARTE